Ces derniers mois, quand j’ai eu besoin d’effectuer des recherches sur le sujet de la paternité, il m’est souvent arrivé de tomber sur des interviews d’Antoine de Gabrielli. Suffisant pour moi pour avoir envie de le rencontrer. Le RDV est pris dans ses bureaux parisiens. Nous échangerons entourés de portraits de philosophes, des guides pour Antoine. Car ce papa de six enfants est un homme engagé. Pour que chacun puisse retrouver du sens au travail. Et pour l’égalité Femmes / Hommes. Car pour Antoine, les deux sont liés. Répondre aux enjeux privés de chaque femme et homme est un des moyens pour engager les salariés dans leur job. Fondateur du mouvement « Happy men share more » et de « Mercredi c’est papa », Antoine partage son point de vue sur le fait de vivre pleinement sa paternité comme vecteur d’égalité Femmes / Hommes. Interview plein de sens.
Antoine, peux-tu te présenter ? Comment est née ton envie de créer un mouvement « masculin » qui encourage l’égalité Femmes / Hommes ?
J’ai 60 ans et suis papa de six enfants qui ont de 19 à 31 ans. Après un début de carrière dans le marketing pour un grand groupe, je me suis demandé comment concilier famille nombreuse (les enfants n’étaient pas encore là mais nous savions, avec ma femme, que nous voulions beaucoup d’enfants) et job. Pour moi, la réponse était l’indépendance. Avec ma femme, notre hiérarchie de vie était très claire : d’abord le couple et les enfants, puis le travail (nous sommes des passionnés de travail !). Nous ne voulions pas que le boulot puisse détruire notre couple.
Nous avons décidé de fonder Companieros (il y a 30 ans déjà), ensemble, pour préserver notre couple. L’objectif de notre entreprise est d’accompagner les entreprises sur les questions de sens au travail. L’égalité Femmes / Hommes est un de ces enjeux. Je n’aborde pas le sujet de l’égalité de façon militante mais par le sens au travail. Et quand une femme a des talents et ne peut accéder à certains postes car c’est une femme, on est dans la destruction totale de sens. C’est une problématique managériale.
Cette question du sens au travail est centrale. Et derrière cela, il s’agit finalement de se demander quelle est la place du travail dans nos vies. Je vois beaucoup de personnes de 40 ans qui se disent « Cela fait 15 ans que je bosse, j’ai « abandonné » mes passions, parfois mon couple et mes enfants… Mais pourquoi ? ». Et finalement, mon engagement personnel pourrait se résumer ainsi : comment faire pour que les femmes et les hommes puissent être engagés au travail et trouver du sens, sans renier leurs enjeux privés.
Tu parles des enjeux privés et à mon sens, le sujet de l’égalité Femmes / Hommes est extrêmement lié à la parentalité. Et les « Happy Men » évoquent-ils ce point ? Quelle problématique se dégage selon toi ?
Bien sur que la question de la parentalité est abordée au sein du réseau « Happy Men Share More ». Paternité et égalité vont de paire. Dans ce réseau, nous proposons des temps d’échanges et beaucoup de nos membres rencontrent le même problème.
C’est important que les hommes osent verbaliser ces sujets alors qu’ils n’y sont pas habitués. Ils peuvent avoir envie de vivre pleinement leur paternité mais leur question est souvent la même : comment puis-je dans mon travail assumer publiquement mes enjeux de vie privée (et donc la question de la paternité) ? Et pour les hommes avec des postes à responsabilité, assumer cette question peut vite être éliminatoire. Dans la croyance (et les stéréotypes), vouloir pour un homme vivre aussi pleinement sa vie personnelle est interprété comme une absence d’engagement. Une étude menée par l’IFOP a montré en 2013 que 70% des hommes cadres pensent que « on ne peut réussir sa vie professionnelle sans sacrifier sa vie privée.
Tous s’accordent à dire que cette situation est moralement anormale. Et managéralement anormale. On peut travailler différemment. Ces mêmes hommes cadres, toujours dans la même étude, déclarent que ils pourraient gagner 20% de leur temps (soit un jour sur cinq) s’ils avaient plus de souplesse et d’autonomie dans l’exercice de leur fonction.
Quelles solutions Happy Men Share More arrive à identifier pour y faire face ?
Avoir un enfant peut changer la vie, y compris pour un père. Nous proposons par exemple que le nouveau père puisse bénéficier d’un entretien de retour du congé paternité. Oui, il n’est parti que 11 jours mais c’est important que le manager fasse le point avec son collaborateur, appréhende ce que la naissance de son enfant va impacter sur sa vie et son quotidien, … Le simple fait d’avoir cette discussion est vraiment essentiel.
Il est important de comprendre que les normes du monde du travail sont des normes masculines, faites par et pour les hommes. Et faire évoluer ces normes prend énormément de temps… Des hommes comme Carlos Tavares, patron de PSA et considéré comme l’un des meilleurs patrons français, qui dit partir du bureau à 18h pour être en famille à 19h est fort.. car encore très rare en France !
Tu as fondé Mercredi c est papa : quel est l’objectif de cette structure et quels en sont les résultats ?
L’objectif de ce mouvement est d’aider les hommes à faire admettre leur enjeux personnels, notamment lié à la parentalité, dans leur sphère professionnelle. Justement car je pense que paternité et égalité femmes / hommes vont ensemble. Cela a permis de créer un corpus de réflexion sur le sujet. Et cela m’a encouragé ensuite à créer le réseau « Happy en Share More » pour accompagner les grands groupes à faire bouger les lignes sur ce sujet. Car les grands groupes ont plus de poids pour faire évoluer les mentalités et plus de moyens pour proposer des actions en ce sens à leurs collaborateurs.
Une des priorités de la jeune génération est de réussir à concilier vie pro et vie perso. La solution pour nombre d entre eux est de se tourner vers l’indépendance. C’est une perte énorme de talents pour les entreprises dont elles ont besoin. Les entreprises que tu rencontres en ont-elles conscience ? Quelles sont les réponses que peuvent apporter les entreprises pour y remédier ?
Oui les entreprises en ont absolument conscience. Mais non, elles n’apportent pas de réponse. Car elles ne savent pas comment faire. Certaines entreprises ont parfois l’impression de faire des choses pour la nouvelle génération de salariés, comme des horaires moins lourds qu’auparavant ou des avantages sociaux. Mais selon moi, le besoin de la génération Y est encore plus grand. C’est la question du sens au travail. C’est surtout cette question qu’il est important de travailler.
Il y a la responsabilité de l’entreprise mais aussi la responsabilité individuelle. Comment un papa peut-il convaincre son manager ou son RH de déployer des outils permettant de concilier son rôle de papa et son job ? Quels conseils donnerais tu à ces papas ?
Il est essentiel que chacun fasse comprendre à son entreprise que s’il n’existe pas un assouplissement des normes de travail, il y a un fort risque de départ de l’entreprise. Et donc une perte de talent. Il me semble important de l’aborder pour l’entreprise sous ce qui lui parle le plus : la perte économique engendrée par le départ du salarié.
On peut aussi s’affilier à des réseaux (celui de Happy Men Share More ou d’autres) qui donnent des arguments utiles. Au delà des arguments, cela reste une discussion, une négociation entre le salarié et l’entreprise. En prenant en compte les intérêts de l’entreprise et ses propres intérêts.
C’est par exemple dire que je souhaite prendre mon mercredi pour être avec mes enfants et que je propose telle organisation pour palier à mon absence ce jour là, que cela ne va pas pénaliser l’équipe. L’idée est de dépasser son cas individuel pour faire en sorte que l’ensemble de l’entreprise évolue dans sa façon de prendre en compte les enjeux de tous les parents. L’expérience prouve que plus on présente des arguments en lien avec la performance de l’entreprise, plus cela fonctionne. Et les entreprises étant relativement encore assez démunies sur ces sujets, il s’agit de présenter par soi même des solutions.
Quels sont les bénéfices pour l’entreprise de mieux intégrer la paternité au sein de leur structure ?
Que ce soit la paternité ou la parentalité au sens plus large, le bénéfice pour l’entreprise est de ne pas gâcher ses talents. Ce sont les femmes qui sont le plus impactées par la non prise en compte de la parentalité en entreprise. Que ce soit pour les femmes ou pour les hommes, il faut arrêter ce gâchis. Les entreprises sont en période de guerre des talents, avec des difficultés de recrutement. Il est donc essentiel de ne pas perdre en plus ses talents ! Un homme ou une femme qui quitte l’entreprise car on lui refuse de prendre un mercredi pour ses enfants par exemple, c’est une perte sèche. L’entreprise doit trouver des solutions.
Et quelles solutions possèdent les entreprises pour prendre en compte la parentalité ?
Il en existe plein : le télétravail, les sessions de formation qui s’étalent sur plusieurs mois plutôt que sur 5 jours d’affilés (on sait sur ce sujet que ce sont les femmes qui sont le plus pénalisées car il leur est compliqué de s’absenter une semaine pour 30% d’entre elles), les temps sociaux (temps plus dédié aux échanges entre collègues) qui ne sont pas le soir mais en journée (là également, ce sont les femmes qui sont le plus pénalisées par les temps sociaux qui se déroulent le soir). Un patron d’entreprise qui part à 18h le soir et qui dit qu’il ne valorisera pas ses collaborateurs qui restent tard le soir, c’est un message fort. Dans la même idée, ne plus dire à un collaborateur qui part à 17h pour aller récupérer son enfant à l’école qu’il prend son après-midi peut contribuer à faire évoluer les mentalités. Derrière ce trait d’humour, il y a beaucoup de stéréotype et de jugement.
De mon expérience sur le sujet, je constate que les lignent bougent mais lentement. Il reste beaucoup à faire ! Sur la paternité et l’égalité. Et donc aussi bien pour les femmes que pour les papas !
Et vous ? Pensez-vous que paternité et égalité vont de paire et que mieux intégrer la paternité en entreprise permettra de baisser les inégalités entre les femmes et les hommes ?
Positivons, partageons et commentons ci dessous !
Merci pour cet article, ça fait plaisir de voir l’initiative de ce monsieur (malgré qu’il faille défendre son temps avec ses enfants avec des arguments économiques, c’est à se demander où certains ont rangé leur cœur).
Merci pour votre retour. Et oui, les entreprises ont surtout une vocation économique donc si on veut faire bouger les lignes sur le sujet, il me semble également pertinent de parler leur langue…