Susciter le désir de coopération des enfants pour faire ensemble… Chaque parent en a envie mais ne trouve pas forcément les clés pour y arriver. Il y a un équilibre à trouver entre guider l’enfant et lui laisser l’espace nécessaire pour qu’il puisse prendre sa place et mobiliser ses ressources. Dans un précédent article, Marjorie Danna, experte en relations parents-enfants et fondatrice de Com & Cit’, nous donnait ses astuces sur comment rendre la relation parent-enfant plus harmonieuse. Dans cet article, Marjorie partage ses bonnes pratiques pour susciter cette coopération et nous donne plein de clés et d’exercices pour y arriver.
Un des sujets de tensions au sein des familles réside dans la difficulté à faire coopérer, participer l’enfant. Marjorie, qu’est-ce que pour toi la coopération ? et quels en sont les bienfaits pour les enfants (et les parents !) ?
Déjà il s’agit de bien prendre conscience de son besoin. Dans « Faire coopérer », il y a une notion de pouvoir sur l’autre. A la place, il est préférable d’exprimer le besoin comme « j ai besoin d’harmonie, de reconnaissance, d’appartenance à un groupe, … ». C’est important de se connecter à cela et de se dire que l’on ne cherche pas la prise de pouvoir sur l’autre (toi adulte ou toi enfant). Et très souvent en tant qu’adulte, nous sommes dans ce pouvoir. On veut rendre l’enfant autonome et responsable mais on ne leur laisse pas l’espace, on fait à leur place.
Coopérer, c’est opérer ensemble. J’y mets le faire ensemble, le vivre ensemble, le être ensemble, apprendre ensemble et finalement cheminer ensemble. La coopération des enfants passe par là. L’idée est : comment favoriser le développement de la personne ET le fonctionnement du groupe. Chacun reprend alors sa responsabilité et donc sa liberté.
Depuis les écrits de Françoise Dolto, on considère l’enfant comme un adulte. Et la conséquence, c’est que le parent peut avoir tendance à se déresponsabiliser un peu de ce qu’il a à faire pour l’enfant. Jesper Juul est un thérapeute scandinave, auteur de deux livres « L’art de dire non » et « regarde ton enfant est compétent ». Il parle de l’ « équidignité » : en terme de valeurs humaines, les parents et les enfants sont égaux. Et en même temps, en tant qu’adulte, j’ai la responsabilité d’un leadership. Personnellement, cela m’a aidée à retrouver ma juste place de parent auprès de mes enfants. Cela ne veut pas dire de faire à la place de l’enfant, d’avoir un pouvoir « contre » ou « sur » mais un pouvoir « avec ». C’est mettre en valeur les ressources de chacun au service du collectif.
Quels sont les bienfaits pour les enfants (et les parents !) d’une saine coopération ?
La coopération au sein d’une famille permet à l’enfant de développer une meilleure écoute, une plus grande autonomie et bien sûr une meilleure estime de soi. Si j’ai une bonne estime de moi, je ne vais pas avoir besoin de prendre ma place et du coup, je vais coopérer naturellement. Et si le parent n’a pas une bonne estime de lui, cela peut vite devenir compliqué car il y a plein d’enjeux qui se mettent en place et sans s’en rendre compte, on entre dans des jeux de pouvoir.
La coopération engendre aussi une augmentation de l’esprit critique. Car coopérer, c’est être dans l’assertivité, affirmer ses valeurs, ses besoins, ses droits et admettre que l’autre en a des différents. Cela permet d’apprendre à dire « Je ne suis pas d’accord, j’ai d’autres besoins ».
L’enfant gagne ainsi en responsabilité et en créativité. Et surtout cela génère beaucoup plus de bonheur et de joie pour chacun ! Et les neurosciences nous apprennent que cet état favorise l’apprentissage et le développement du cerveau.
La régulation des conflits se fait alors presque naturellement. Et là également, les conflits doivent être acceptés, ils font partie intégrante de la vie. C’est une opportunité de mieux communiquer et de mieux se découvrir dans la relation.
Quelles sont les conditions de réussite pour arriver à la coopération des enfants ?
J’ai évoqué l’importance du climat positif au sein de la famille et du temps d’attention dans le précédent article. Ce sont des prérequis pour favoriser la coopération.
Pour grandir, l’enfant a besoin de développer un sentiment de compétence, savoir qu’il est capable de faire telle ou telle tache, en autonomie. Et même d’être à l’origine de ses choix. Alors que très souvent, on ne lui donne pas cette possibilité, on lui donne des injonctions. Alors qu’il a besoin de faire des choix dans la construction de son autonomie. Ressentir « C’est moi qui agit, c’est moi qui fait » est primordial dans la construction de l’enfant. Et sentir qu’il a un rôle et un sentiment d’appartenance sociale (là en l’occurence la famille) est tout aussi essentiel. Le trio compétence / autonomie / appartenance sociale est fondateur pour le futur adulte.
Une autre condition de réussite de la coopération des enfants est de reconnaître l’enfant en tant qu’être capable. On se focalise souvent sur le « capable de réussir » mais selon moi c’est encore plus important de valoriser le « capable d’essayer, d’oser, de progresser ». Quand vous avez un invité chez vous qui renverse son verre, vous n’allez pas lui dire « mais enfin, t’es idiot, fais un peu attention ! ». Vous allez être en bienveillance. C’est pareil pour nos enfants, traitons-les de la même façon en bienveillance. Et soyons le aussi envers nous !
On parle des enfants, et cela fonctionne de la même façon avec les ados. Tous les jours, les adolescents apprennent, affutent leurs compétences. Et cela nous semble normal. Retrouvons l’émerveillement ! On s’émerveille devant des bébés qui marchent pour la première fois, qui découvrent leurs reflets dans un miroir… Et pourquoi cela s’arrête quand on devient plus grand ? Essayons de retrouver cet émerveillement chez nos adolescents et chez les adultes !
A l’inverse, quelles sont les phrases ou actions qui freinent l’envie de coopérer de l’enfant ?
L’envie de coopération part de l’adulte donc le frein peut venir de lui ! Les parents doivent essayer de se reconnecter à eux, à leurs besoins, à leurs envies.
Il y a une utopie sur la coopération : tout le monde fait en même temps et avec plaisir. Cela peut arriver mais souvent il y a des envies différentes qu’il convient d’accepter. On peut avoir envie d’être en observation, de sortir de la coopération car on pense ne plus apporter, … Les rôles ne sont pas figés, ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut être pas demain. Et c’est OK !
Tout ce qui va être jugement, enfermement dans des étiquettes, même positives, ne donne pas envie de coopérer. Il en est bien sûr de même pour les attaques, les insultes, même celles dont on ne se rend pas compte. Forcément si je me sens attaqué, je ne vais pas avoir envie de coopérer !
La non reconnaissance est aussi un frein. Quand je parle de non reconnaissance, c’est tout ce que l’on classe en « c’est normal ». Un enfant qui prépare son cartable le soir, on pense que c’est normal donc on ne souligne pas l’action. Pourtant c’est une preuve d’organisation et d’anticipation. On peut ré apprendre à célébrer le normal !
Notre cerveau est fait pour voir ce qui ne va pas (c’est le cerveau reptilien), pour voir le danger et il classe en « c’est normal » tout ce qui est bon. On peut sortir de cela en réapprenant à voir ce qui est dit « normal » et qui peut pourtant être célébré. C’est faire preuve d’écoute, d’attention, d’empathie, …
Vous arrivez en retard à l’école le matin car vos deux enfants se chamaillent et vous avez pris le temps de les écouter et de régler le problème. Vous avez fait preuve de lâcher-prise vis-à-vis du règlement, de priorisation, d’empathie envers vos enfants, c’est génial, ce sont des qualités ! Votre enfant monte la première fois tout seul au toboggan, c’est une preuve d’audace, de courage, d’émancipation ! Toute la journée, l’enfant fait des choses incroyables que l’on voit en « c’est normal ».
Et c’est pareil pour le parent qui réussit plein de choses dans son travail tous les jours. « Oui mais cela fait partie de ma fiche de poste, c’est normal. C’est normal mais tu l’as fait et bien fait ! ». Il ne s’agit pas de passer en « moi je » mais de se reconnecter sur tout ce dont on est capable et que l’on ne voit même plus.
Tu vois d’autres freins à la coopération des enfants ?
Un autre frein très nocif réside dans la comparaison dans les fratries. C’est un « tue estime de soi » et un « tue coopération » ! Pourtant, on le fait souvent pour que cela bouge, que cela soit positif pour l’autre mais ce n’est vraiment jamais le cas. Même pour celui qui est comparé positivement ce n’est pas bon. Un enfant qui entend de son papa ou sa maman dire « Tu es plus soigné que ton frère » va se dire sur l’instant « on m’aime » mais va très vite se dire « c’est à mon avantage cette fois-ci mais ce sera contre moi la prochaine fois ». Ce n’est jamais bénéfique et là aussi, cela enferme dans une étiquette. La manière dont on regarde l’autre va l’aider à progresser, à croire en ses capacités (c’est l’effet pygmalion). Si je regarde l’enfant avec un regard « il ne sait pas faire », cela ne va pas l’aider à coopérer car il va le sentir. Quand le parent prend conscience de cela et des effets, il arrive à le corriger facilement.
Quand on pose une question à un enfant dont on sait pertinemment qu’il ne peut pas avoir la réponse, cela l’encourage dans sa croyance de « je ne sais pas et papa/maman le sait, on a voulu me pièger ». Cela n’encourage pas la confiance et donc la coopération.
Et là encore, cela commence par le regard que l’on porte sur soi… Posons nous la question de pourquoi moi, en tant qu’adulte, je ne coopère pas et surtout qu’est ce qui fait que je coopère.
Enfin faire à la place de l’enfant empêche la coopération. Trop couver, ça veut dire pour l’enfant « tu n’es pas capable et le monde est mauvais ». C’est aussi le rendre dépendant du parent. Et parfois, plus souvent pour les mamans et encore plus avec les derniers d’une fratrie, c’est un fonctionnement qui se met en place sans s’en rendre compte. Derrière cela, il y a « mais si mon enfant est indépendant, que vais je faire ? Quel est mon rôle et ma place ? ». C’est alors à l’enfant de faire tout le travail, seul, pour gagner son autonomie. Et ce n’est pas facile pour lui…
As-tu des outils, une méthode pour favoriser la coopération et donc, pour conséquence, l’autonomie de l’enfant ?
Un des outils favorisant la coopération des enfants est de décrire la situation et de donner une information précise, voire d’exprimer son émotion. Si l’enfant renverse son verre, le parent peut tout à fait dire « Ca me met en colère quand quelqu’un, pas uniquement toi, renverse son verre sur le tapis ». Puis dire « le sol est mouillé, la serpillère est dans le placard de la cuisine ». Souvent, l’enfant va naturellement aller chercher la serpillère et coopérer. Bien sûr , si on a toujours fait à la place de l’enfant, cela ne sera pas un automatisme, l’enfant aura besoin d’ être guidé. Et là aussi, même si l’enfant n’a pas essuyé parfaitement, ne cherchons pas le perfectionnisme qui peut vite devenir un frein au fait de faire.
On peut aussi dire ce qui ne va pas. On est à la caisse du supermarché, son enfant tire sans cesse sur la manche du parent. Plutôt que de dire « arrêtes, tu ne peux pas faire ça », on peut essayer de le remplacer par « Quand tu tires la manche comme ça, cela me gène car là je discute avec la dame ».
Très tôt, on peut laisser faire des choix à l’enfant. « Veux-tu tu une pomme ou une poire ? ». « Aujourd’hui, tu veux mettre ton pantalon ou ta robe ? ». « Ce soir tu veux prendre une douche ou un bain ?». Bien sûr ne pas oublier de prendre en compte le besoin du parent qui doit se sentir OK avec ce choix. Cela fonctionne très bien dans la période du « terrible Two » où les enfants souhaitent s’exprimer, affirmer leur individualité. Proposer un choix adapté à l’enfant lui permet de s’affirmer et de ne pas être confronté au non systématique.
Rendre un enfant autonome, c’est lui laisser le pouvoir sur sa vie et donc sur la vie. Il n’y a pas de baguette magique mais le premier vecteur d’apprentissage est le mimétisme et la modélisation… donc tout commence par soi ! Mais avec bienveillance, arrêtons de nous flageller ! Le parent a le droit à l’erreur. Et c’est top si le parent sait le reconnaître et exprimer à son enfant qu’il s’est trompé. L’enfant le comprend. Même s’il ne comprend pas les mots, si le parent s’exprime avec authenticité, l’enfant va comprendre l’idée.
Comment réagir face à un enfant qui refuse de coopérer ?
Cela dépend de l’état général de colère ! Si le parent ressent une grosse colère, ce n’est pas le moment d’agir. Il faut d’abord prendre soin de soi, se calmer. Le message ne passera pas en l’exprimant avec colère. C’est aussi d’être en humilité et de se dire que là, sur l’instant on n’est pas capable.
C’est la même chose si l’enfant est dans une émotion forte, il ne sera pas non plus capable de parler et d’entendre. Il faut laisser la colère s’exprimer et si possible essayer de faire poser à l’enfant des mots (« Es tu en colère ? Triste ? »). Un enfant n’a pas encore le cerveau suffisamment mature pour exprimer ses sentiments. C’est au parent de venir à lui, de l’aider à poser les mots, à s’exprimer.
Pour les plus petits, on peut contenir la colère en prenant l’enfant dans ses bras pour qu’il puisse exprimer sa colère en sécurité.
Le parent peut aider les enfants à exprimer les émotions avec des jeux. Par exemple, tous les soirs lors du diner, chaque membre de la famille exprime ses 3 kiffes et ses 3 bofs de la journée. Je l’ai vu expérimenter dans plusieurs familles et cela fonctionne super bien ! L’idéal est de faire entrer ce jeu dans une routine, dans un quotidien. Cela va contribuer au climat positif au sein de la famille, à l ‘expression des émotions de chacun et in fine à une envie de coopération des enfants.
En règle général, il faut prendre conscience que quand l’enfant dit non à quelque chose, c’est qu’il dit oui à des besoins. Donc pour susciter le désir de coopérer des enfants, il est d’abord essentiel d’identifier son besoin.
As-tu des exercices pratiques ou astuces à partager pour aider les parents à développer plus de coopération avec leurs enfants ?
C’est déjà de s’appliquer ce besoin de coopération à soi-même : et si moi je prenais l’habitude de coopérer davantage, avec mon partenaire par exemple ? C’est le climat général posé au sein de la famille qui va y contribuer.
Les 3 kiffes et les 3 bofs dont je parlais plus haut sont un super outil. Et là aussi, il ne s’agit pas de vouloir aider son enfant s’il exprime un bof. C’est juste un espace d’échange, où l’on peut déposer les faits et les émotions.
La coopération des enfants passe aussi par la valorisation des parents. C’est valoriser même si le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. « Tu as eu une note moyenne en maths mais je t’ai vu beaucoup travailler, tu as fais preuve de persévérance ». C’est re-célébrer le bon et donc d’abord ré-apprendre à le voir !
La coopération est une fonction naturelle de l’être humain donc si l’on propose le climat propice, la coopération va être naturelle. Donc faites-vous confiance et faites confiance à vos enfants, écoutez-vous, connectez-vous à vos besoins et le reste va suivre !
Actions :
Notre « expert en coopération des enfants» nous inspire plusieurs actions à mettre en place :
- Identifiez les besoins de chacun ! Que ce soient les besoins de l’enfant ou du parent, il est essentiel de les identifier pour voir comment les faire converger. Et si ce n’est pas sur l’instant, acceptez une temporalité différente.
- Sortez du « c’est normal » et célébrez : valoriser l’enfant, au delà même du résultat, c’est favoriser son estime de lui et donc son envie de faire, de grandir, d’être autonome, de faire des choix… et donc de coopérer
- Utilisez les exercices : Chaque soir, chaque membre de la famille présente ses un, deux ou trois kiffes et bofs du jour ! C’est un petit jeu sympa, qui permet à chacun de s’exprimer, de continuer à créer le lien au sein de la famille.
Et vous ? Avez-vous d’autres exercices favorisant la coopération des enfants à partager ?
Positivons, partageons et commentons ci dessous !
Je n’en suis pas encore là, mais je pense que cet article me sera très utile dans quelques années. J’espère que mes enfants (oui, j’en veux plusieurs) se montreront coopératifs le moment venu. 🙂
A+
Si tu les guides sur ce chemin, ils seront forcément coopératifs ! Je suis persuadé que les enfants le sont par nature et c’est souvent les parents qui, en voulant les protéger, le leur en empêche… Tu vas voir, ils seront ravis de t’aider !