Il y a des rencontres qui touchent. Et des histoires de parents parfois bouleversantes. Le deuil périnatal toucherait autour de 7 000 familles par an en France. On appelle deuil périnatal la perte d’un enfant durant la grossesse, l’accouchement ou les 1ers mois du bébé. Le sujet est encore très tabou (comme le sujet du Baby Blues du Papa). Et lorsque l’on en parle, on entend très rarement la parole des papas sur le sujet.
Quand j’ai rencontré Sylvain qui m’a évoqué son histoire, j’ai eu envie de le faire témoigner. Pour contribuer à libérer la parole des parents (et des papas) sur le sujet. Pour que la société puisse changer son regard sur le deuil périnatal. Et pour que chacun puisse, à sa mesure, mieux comprendre et accompagner les parents qui vivraient ce drame. Papa et deuil périnatal : Sylvain se raconte avec sensibilité et authenticité. Merci pour ta force Sylvain.
Une grossesse sous tension
Sylvain a 42 ans et est architecte d’intérieur. Il est en couple avec Isabelle, 33 ans, éducatrice spécialisée pour enfants autistes. Quand ils se rencontrent, il y a 10 ans, Sylvain est fragilisé par la maladie de son papa. Isabelle lui fait du bien, par sa douceur et sa fraicheur. Et quelques années après, sous une trop forte pression professionnelle, Sylvain se bat contre une dépression. Avec deux mois d’hospitalisation. « J’étais dans le contrôle permanent, trop perfectionniste. Cela m’a fait tomber. Mais Isabelle ne m’a pas abandonné. Elle venait chaque matin à l’hôpital. Cet épisode de nos vies a renforcé encore plus notre couple ».
Le jour de ses 41 ans, Isabelle lui annonce qu’elle est enceinte. Surprise. Après un petit temps de stress, Sylvain se réjouit de ce nouveau bonheur. « J’étais très heureux. Je me disais que j’allais pouvoir vivre pleinement désormais. Cette grossesse a nettoyé mes angoisses ». La grossesse se déroule sur fin 2019 et le 1er semestre 2020. Donc en partie en période de Covid. « Isabelle ne pouvait pas voir ses ami.e.s. C’était difficile pour elle. La grossesse se déroulait très bien au niveau physique mais c’était plus compliqué au niveau psychologique pour elle. Isabelle est une enfant adoptée, la grossesse a fait renaitre des souvenirs. Elle a très peur qu’il se passe quelque chose pour le bébé… ». Et cela booste Sylvain qui se révèle. « Je me suis senti père durant toute la grossesse. Je m’occupais d’Isabelle, de la maison. J’ai créé une nouvelle chambre pour notre futur bébé. Tout était prêt ». A partir du 7eme mois, les échéances de prématurité étant passées, Isabelle se détend. Et le couple profite des derniers instants à deux, impatients de rencontrer leur fille, au doux prénom d’Anaë, « grâce » en hébreu.
Le jour de la perte du bébé
La dernière échographie confirme la bonne santé du bébé. La naissance est prévue une semaine avant le terme. Trois jours avant la date de l’accouchement, début Juillet 2020, Isabelle ne sent plus bouger son bébé. Au bout de quelques heures, le couple part aux urgences. « Je pense à ce moment encore tous les jours aujourd’hui. Pourtant, sur l’instant, je n’étais pas inquiet ». En pleine crise sanitaire, l’attente est longue à la maternité. Sylvain doit rester en salle d’attente. « L’infirmière est revenue me chercher. Elle portait son masque. Mais j’ai de suite compris dans son regard qu’il y avait un problème. Elle n’a pas parlé, m’a amené auprès d’Isabelle et est partie en courant. Dans la salle d’examen, Isabelle était debout, nue, seule, le ventre humide avec le gel et le « bip » au sol ».
Elle lui dit qu’ils n’entendent plus le coeur. « Je me suis assis à ses côtés et pour la 1ere fois, je n’ai pas su la rassurer. J’ai pensé à un accouchement en urgence. Le temps d’attente m’a semble une éternité. Un docteur est finalement arrivé en courant. Il a de nouveau contrôlé le coeur de notre bébé. Il n’y avait aucun mouvement sur la machine. Le Docteur ne parlait pas. Il souhaitait que l’on comprenne par nous même. J’ai fini par lui demander si on pouvait refaire battre le coeur de notre fille. Non. Je me suis évanoui ».
Quand Sylvain revient à lui, il prend Isabelle dans ses bras. « On a ressenti une poussée d’amour très forte entre nous, d’une intensité incroyable. On ne pouvait plus nous séparer. Le Doc est sorti pour nous laisser vivre ce moment ».
Les jours d’après à l’hôpital
L’équipe médicale revient et explique au couple qu’il est souhaitable de procéder à un accouchement naturel dans quelques jours. « Je ne comprenais plus rien. La plus belle chose de ma vie s’était transformée en la plus horrible. Et pourquoi laisser ma femme avec notre bébé mort dans son ventre ? ». L’accouchement est programmé 3 jours après. L’obstétricienne leur explique que cela leur permet d’accepter le deuil et que cela leur donne le temps d’en parler à deux. « Elle nous parle d’avenir, qu’une césarienne exige d’attendre un an avant de pouvoir faire un nouvel enfant, d’où l’accouchement naturel ». La présence de Sylvain est souhaitée par l’équipe médicale. Sylvain et Isabelle décident de rester à l’hôpital en attendant. Au milieu des cris d’autres bébés venus au monde, de familles heureuses et des félicitations des proches.
En attendant, « pour survivre », Sylvain décide de passer à l’action. Pour protéger Isabelle des futurs appels et messages, il adresse un SMS à leurs proches.
« Désolé pour la brutalité de ce message , nous avons appris le décès de notre fille … , Isabelle,avec un courage extraordinaire ! a accouché à mes côtés . L’équipe formidable nous a permis de prendre anaë dans nos bras car elle était belle . ( il semblerai que le cordon entourait et serrait notre fille ) . Isabelle se repose, nous ne regrettons pas d’avoir été jusque bout de la démarche aussi surréaliste qu’elle soit , je prends soin d’Isabelle que j’aime tellement 😘❤️ ».
Puis vient le jour de l’accouchement. « Isabelle a été incroyablement forte. Jusqu’à l’arrivée d’Anaë. C’était dur pour Isabelle. Elle avait peur de la dernière poussée. Elle disait « Je ne vais pas l’entendre pleurer ». Les équipes ont accueilli Anaë, l’ont nettoyée et habillée. Et il n’a pas été nécessaire de la maquiller. « Ils nous l’ont d’abord présentée de loin. Puis Isabelle l’a prise dans ses bras. Je me suis d’abord reculé. Puis j’ai touché sa jambe. Je l’ai regardée. Mais je n’ai pas su la prendre dans mes bras ». Toujours en mode « survie », Sylvain s’occupe ensuite des différentes formalités administratives. Il inscrit sa fille sur le livret de famille. S’occupe de l’incinération et du columbarium. « J’ai choisi le plus joli cimetière de notre ville, avec beaucoup d’arbres. Je voulais pouvoir raconter de belles histoires à ma femme… ».
Le retour à la maison : papa et deuil périnatal
Sylvain a peu de souvenirs de leur retour à la maison. Il prévient les voisins, les endroits où ils avaient l’habitude d’aller. Afin de préserver Isabelle des questions. « Je ne voulais pas qu’Isabelle ait à faire face aux questions. Sans cela, je savais qu’elle ne serait pas sortie de chez nous durant de longs mois ». D’ailleurs, aujourd’hui, le couple pense à déménager. « Pour changer de lieu, trop chargé en souvenirs… ».
Sylvain navigue entre cette nouvelle opposition de papa et deuil périnatal. Avec comme envie prioritaire de s’occuper de sa femme. « Je pensais que j’allais m’écrouler. Mais cela n’a pas été le cas. Je voulais amener la vie à Isabelle. Alors je me suis forcé à prendre des enfants d’amis dans les bras. Puis j’en étais malade juste après, quand j’étais seul ». Les réseaux sociaux sont aussi difficiles à appréhender pour Sylvain : « Voir les enfants qui grandissent, ceux qui auraient l’âge d’Anaë aujourd’hui, … C’est compliqué encore pour moi aujourd’hui ». Sylvain décide aussi que le couple a besoin de se faire accompagner par un psy spécialisé dans le deuil des enfants.
Deuil périnatal et l’entourage
Au delà du couple, l’entourage dans un deuil périnatal est clé. « Je n’ai pas eu la fierté et la chance d’être pleinement papa. Je n’ai pas eu les félicitations, les pleurs , les cadeaux. Mais la situation est hors norme. Je n’en veux à personne. Si cela m’était arrivé quand j’avais 25 ans, j’en aurai voulu à tout le monde. Là, je comprends. Finalement, ce sont surtout les personnes de 60/70 ans, plein de sagesse, qui m’ont fait du bien ».
Et dans ces situations, l’attention est souvent portée naturellement vers la maman, moins vers le papa. « Nos proches s’inquiétaient et soutenaient Isabelle. Et ils me parlaient souvent de sa détresse. Et je le comprends, la souffrance pour la mère est dramatique. Mais on ne pense pas que le papa doit gérer la souffrance de sa femme et la sienne, qui est, elle aussi très forte ».
Sylvain confie sa difficulté à revoir aujourd’hui certains amis. « J’ai peur de partager du temps avec des amis qui ont des enfants, c’est encore difficile». Avec ses parents, la relation a aussi évolué. «Avec mon papa, c’est une relation de père à père. Je le sens fier de comment j’accompagne Isabelle ».
La lente re-construction
La perte d’un enfant impacte aussi forcément le couple. « La mort d’un enfant, ça casse ou ça renforce le couple. Ça le casse dans 70 % des cas. Nous cela nous a renforcés ». Aujourd’hui Isabelle va mieux. Alors Sylvain, par effet de balancier, commence à lâcher. Et il connait la musique de la dépression. Il commence à l’entendre. Mais il veut faire face et ne pas retomber. Papa et deuil périnatal, c’est un long chemin… « Les psys nous disent que l’on n’avancera pas au même rythme ».
Sylvain avait commencé le faire-part de naissance juste avant le décès de sa fille. Et il l’a terminé quelques jours après. Mais il a décidé de ne l’envoyer que récemment. « Cela me permet de partager ma douleur. Je peux le faire maintenant ». Mais le papa n’est pas encore prêt à tout. « J’ai des photos de ma fille à l’hôpital. Je n’ai pas encore eu le courage d’y aller. Mais je sais que je vais le faire. Bientôt ».
Et maintenant…
Aujourd’hui, le couple souhaite avoir un nouvel enfant. « Ce n’est pas simple, le deuil n’est pas encore fait. Et on sait que la grossesse sera lourde à gérer psychologiquement. En même temps, plus je vieillis, moins j’ai de certitude. Je veux faire confiance en la vie ».
Pour continuer de faire face à cette dualité de papa et deuil périnatal, Sylvain a eu besoin, au travers de notre échange, de s’exprimer pleinement sur son histoire. Et peut être rejoindre plus tard des associations qui aident les parents qui vivent ce drame.
Sylvain et Isabelle se rendent régulièrement au cimetière pour voir Anaë. Juste à côté de son emplacement, par le hasard de la vie, se trouve celui d’Arthur, un petit garçon, lui aussi décédé (prénatal) un mois avant Anaë. Lors de leur dernière visite, une fleur a été déposée, probablement par les parents d’Arthur. Sylvain se dit qu’il les rencontrera forcément un jour, pour parler de leurs enfants. Car finalement, un enfant ne meurt jamais…
Et vous, que pensez-vous de l’histoire de Sylvain, ce papa et deuil périnatal ?
Merci Pascal de te mettre à la place des papas dans cette situation ! Très bel article.
Merci Charlotte. C’est un des objectifs d Histoires de Papas : parler de toutes les formes de paternité !
Bonjour. Je vous remercie pour ce texte. Mon expérience est probablement moins malheureuse (je n’ose même pas imaginé le chagrin d’un décès aussi proche du terme) mais la finalité fut la même. Une exencéphalie fut diagnostiquée et nous avons opté pour l’img. Ce n’était qu’à quelques mois de grossesses mais on allait commencer la liste de naissance, le téléphone était (est toujours) rempli des images des échographies… Et cette nouvelle à été terrible. Cela fait 4 mois maintenant. Nous essayons de recommencer mais j’y pense régulièrement avec une grande appréhension sur la grossesse a venir.
C’est la 1ere fois que j’écris. Mon métier me contraignant à la mobilité, c’est dans des moments de « solitude » que je parcours les sites en quête de témoignages comme le vôtre.
Je vois que ce post date un peu mais si vous passez par ici, sachez que je vous souhaite bien du courage et que vous aurez un jour l’occasion de devenir le père que vous souhaitez devenir.
Merci Kevin pour votre témoignage de ces moments toujours douloureux…
Sylvain, le papa dont je raconte l’histoire, a eu une jolie surprise de la vie et il y a 2 mois, il est devenu l’heureux papa d’une petite fille. Nous allons prochainement partager la « suite » de son histoire, pleine d’espoir pour les parents ayant vécus de telles difficultés.
Je tombe sur votre site et sur cette histoire en cherchant des pistes pour aider mon mari dans cette épreuve que nous venons de vivre. Et je suis scotchée par le nombre de similitudes entre notre histoire et celle racontée ici…
Merci de parler, de partager. Ça aide.
Tout d’abord, je vous adresse toute mon énergie pour traverser cette épreuve…
Et merci pour votre retour sur l’histoire de Sylvain : partager des moments de vie peut aider à se sentir moins seul.
C’est l’objectif de ces portraits de papas et j’espère que l’histoire de Sylvain, raconté avec beaucoup d’authenticité, saura vous aider sur votre chemin.