Comme vous le savez, la durée du congé paternité (ou second parent) est allongé depuis le 1er Juillet 2021. Il est désormais de 28 jours (au lieu de 11 jours). Peut-être vous en souvenez-vous, je me suis engagé sur le sujet avec un collectif de papas. Et depuis, je poursuis mon engagement sur le sujet. Car au-delà de la nouvelle loi, il est essentiel d’accompagner le déploiement du congé paternité. Aussi bien pour les papas que pour les entreprises. Car finalement, il s’agit là d’une évolution culturelle. Et le congé paternité en entreprise doit être accompagné pour qu’il soit réellement pris par les papas.
Fort de ce constat, j’ai eu l’opportunité d’interviewer Pierre-Edouard Batard, Directeur Général de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel. A 37 ans, Pierre-Edouard est devenu papa. Et, avec sa femme, il a décidé de prendre un congé paternité de 3 mois. Véritablement engagé sur le sujet, le choix de Pierre-Edouard est forcément impactant. Car pour que les lignes bougent sur le sujet, l’exemplarité est nécessaire. Et nous avons besoin de rôle modèle pour inspirer et donner envie. Alors quand un DG au sein d’une entreprise de plus de 83 000 salariés prend un congé paternité de 3 mois, le message est fort. Portrait d’un dirigeant inspirant et engagé !
Un enfant est un choix à deux parents
En couple depuis 10 ans, Pierre-Edouard possède, à tout juste 37 ans, un parcours professionnel déjà riche. Ingénieur et économiste de formation, doté d’une forte fibre sociale, il travaille durant plusieurs années au Ministère des Finances. Puis, il intègre fin 2017 le Crédit Mutuel en tant que Directeur Général Adjoint. En Mars 2019, il en devient le DG. « Le Crédit Mutuel est un groupe très décentralisé. Je dirige l’organe central (-le siège national-), avec une équipe de 250 personnes, mais pas le groupe ». Son épouse a également une carrière prenante et riche dans le secteur des énergies renouvelables.
L’idée de fonder une famille n’était, à la base, pas une évidence pour le jeune couple. « Ma femme est une féministe convaincue et ne voulait pas spontanément d’enfant. Nous avons beaucoup échangé et chacun a mûri et évolué. . Ainsi, elle était OK pour un enfant mais à condition que nous partagions tout. Nous devions être à 50/50 sur tout ». La question de la parentalité soulève plusieurs questions. « Ma conjointe me demandait : « Quelles garanties peux-tu me donner pour que je ne renonce pas à mon équilibre vie pro/vie perso ? Comment pouvons-nous traduire nos convictions personnelles au quotidien ? ». Une des solutions a été trouvée par le biais d’un long congé paternité. « Comme nous voulions être à 50/50 sur tout, on a décidé que je prendrais un congé paternité aussi long que son congé maternité. Le congé légal post accouchement dure 10 semaines et j’ai donc pris 3 mois ».
Son congé paternité : un choix personnel et un choix d’exemplarité
Une fois la décision prise, il s’agit alors de l’annoncer au président du Groupe. « Je lui ai annoncé que j’allais m’arrêter 3 mois pour mon congé paternité. Et que cela n’était pas négociable. Sa réaction a été claire : « C’est génial, profitez-en ! » ». De par son statut de mandataire social, Pierre-Edouard prend ses 3 mois sans solde (= sans rémunération). Mais c’est une évidence pour le jeune papa. « C’est une demande personnelle mais aussi politique vis à vis de l’entreprise, et au-delà. Je voulais montrer que c’est possible. Je voulais montrer l’exemple. Aujourd’hui, prendre ce type de décision est encore vu, pour un homme, comme un interdit. C’est un abandon de ses équipes. C’est aussi perçu comme une prise de risque professionnelle. Mais mon désir d’enfant et d’être présent pour lui et ma femme étaient les plus importants ».
Quand son fils, Ange, naît, Pierre-Edouard est à la tête de la Confédération depuis 2 ans. « J’avais mené un certain nombre de transformations. Et j’avais déjà organisé un partage de responsabilités avec mon adjointe. J’ai pu partir serein. ». Pierre-Edouard a ainsi décidé de profiter pleinement de ses 3 mois de congé paternité. « J’ai vraiment coupé de mes responsabilités. Je passais juste un appel tous les 15 jours pour suivre les grandes lignes ».
Le congé paternité en entreprise : un outil d’égalité Femme / Homme
En tant que Directeur Général, Pierre-Edouard a pu constater les différences de réactions au sein de ses équipes suite à l’annonce de son choix. « Toutes les femmes ont salué ma décision, quel que soit les générations. Pour les hommes, c’était plus contrasté. L’accueil est très positif pour les plus âgés avec des réactions comme « j’aurai dû, moi aussi, être plus présent pour ma femme et mes enfants ». Et plus mitigé de la part des jeunes pères car cela projetait chez certains le sentiment d’être jugés de ne pas avoir fait ce choix ». Mais les réactions dans l’ensemble sont très positives. « Pour moi, c’est une décision vue positivement dans mon entreprise, tout le monde me félicite. C’est injuste car souvent pour les femmes, la parentalité impacte négativement leur carrière professionnelle ».
Pour Pierre-Edouard, les entreprises doivent entreprendre leur mutation sur le sujet. « L’entreprise doit gérer la parentalité de façon positive. Et de la même manière pour les femmes ou pour les hommes. Oui la parentalité a un impact sur la vie professionnelle. Mais cela peut s’anticiper. On peut organiser les absences, en ayant recours à des CDD ou à l’intérim par exemple ». Le Directeur Général en est persuadé : une meilleure gestion de la paternité, et donc de la parentalité, est un vecteur d’égalité professionnelle fort. « Si les hommes prennent leur place, cela participe à plus d’égalité réelle. Cela permet aux femmes qui le souhaitent d’obtenir plus de responsabilités professionnelles. Et c’est sain pour tout le monde, pour les individus comme pour les organisations. Et au-delà du monde professionnel, un homme qui prend sa juste place de papa fait du bien à son couple ».
Une politique globale de parentalité en entreprise
De son propre aveu, le Crédit Mutuel était un peu en retard sur ce sujet. « Nous avons signé des accords très favorables pour les femmes et peu pour les pères. Au final, cela accentue les inégalités ». Et cela joue surtout au moment des promotions internes. « Nous avons une parité au sein des chargés de clientèle. Mais c’est après que l’inégalité se creuse. Pour devenir Directeur d’Agence, les équipes passent par une école de formation interne. Et ce moment de promotion se situe souvent à la même période que l’arrivée des enfants. Cela pénalise fréquemment les femmes dans leur prise de responsabilités. Et donc dans l’évolution de leur rémunération ».
Les principaux exécutifs du Crédit Mutuel se sont saisis du sujet. « Nombre de nos fédérations en ont fait un des points stratégiques pour les années à venir. Nos enjeux sont les suivants : comment rattraper le décalage de rémunération entre les femmes et les hommes ? Et comment créer de bonnes conditions de promotions internes, qui ne soit pas pénalisantes pour certain.e.s ? Il a par exemple été décidé que les promotions de formation à l’école des directeurs seront strictement paritaires ». Et comme l’exemplarité est primordiale, « il y a également un plan à 3 ans pour tendre vers la parité complète sur les fonctions exécutives ».
Pierre-Edouard en a conscience, le chemin sera long. « Cela prend du temps car nous sommes sur un changement culturel profond ». Alors pour impulser la dynamique, le jeune papa aligne au maximum ses convictions personnelles à sa réalité professionnelle. « J’ai choisi une femme comme adjointe. J’ai plus de femmes que d’hommes dans mon Comité de Direction. Lors des augmentations annuelles, je surveille de très près les indicateurs de parité ». Et bien sûr, son congé paternité en entreprise de 3 mois est un autre signal fort d’exemplarité. Enfin, Pierre-Edouard sait que l’intégration de la parentalité en entreprise est un facteur d’attractivité des talents. « Ce sont des attentes de la nouvelle génération. Nous devons nous adapter. On doit pouvoir leur proposer des services ou une organisation leur permettant de concilier vie pro et vie perso ».
Une nouvelle organisation de vie
Pierre-Edouard s’est beaucoup impliqué durant ses 3 mois de congé paternité. « Dans la parentalité, on pense souvent à la naissance. Mais les semaines suivantes, les semaines de post partum, sont critiques pour les femmes. Je me suis énormément impliqué sur les premières semaines pour que ma femme puisse récupérer.».
A son retour de congé paternité, Pierre-Edouard modifie également son organisation de travail. Car pour le couple, la gestion à 50/50 ne s’arrête pas aux congés parentaux. « Avant, je travaillais énormément. Depuis l’arrivée d’Ange, j’ai modifié mon organisation. Nous allons chercher notre fils à la crèche chacun notre tour. Je termine donc de travailler 2 jours par semaine à 17h30. Et je reprends le travail le soir. Mais au travers de ce choix, mon objectif est aussi d’encourager les pères de mon équipe à quitter le travail plus tôt également ».
L’équilibre vie pro-vie perso du papa
Avant son congé paternité en entreprise, Pierre-Edouard s’était déjà bien préparé. Ainsi, il a suivi la formation de l’Atelier du Futur Papa. Et lu énormément de livres sur la parentalité. A la naissance d’Ange, le jeune papa est prêt. « J’ai fait toutes les nuits de bébé sur les deux premières semaines, pour que ma femme puisse récupérer de l’accouchement. Puis nous étions en alternance avec ma femme. » Son investissement, Pierre-Edouard l’apprécie. « Je suis le papa d’Ange à 100%. J’ai toute ma place. Prendre ce long congé paternité était essentiel pour moi. Cela contribue au bonheur intense que nous connaissons au sein de notre couple et dans ma relation avec mon fils. De tels moments n’arrivent pas souvent dans une vie. C’est dommage de passer à côté ». Et grâce à son congé paternité en entreprise, le papa a pu pleinement profiter de son bébé. « Au niveau pro, on n’a pas souvent la chance de débrancher complément son cerveau du travail. Durant 3 mois, je n’ai pensé qu’à mon fils et ma femme ».
Depuis sa reprise travail, Pierre-Edouard poursuit ses engagements pour maintenir un bon équilibre vie pro – vie perso. « Avoir un enfant oblige à être plus organisé. Mais aussi à aller à l’essentiel et à prendre du recul ». Et cette volonté d’équilibre oblige parfois à assumer certaines décisions. « Aujourd’hui, je décline certaines invitations le soir. Elles font pourtant parties de mon job. Mais je souhaite privilégier ma famille au maximum ».
Un engagement également dans son éducation
Aujourd’hui, Ange n’a que 5 mois. Mais ses parents souhaitent évidement lui transmettre ces valeurs d’égalité. « Notre enjeu, quand on a su que c’était un garçon, c’est de lui apprendre à respecter les femmes. Le pire pour nous serait qu’il soit masculiniste (NDRL : en fonction des définitions, le masculinisme est un courant anti-féministe qui vise la protection des intérêts des hommes issus du patriarcat). Nous souhaitons qu’il soit dans le respect de l’altérité des femmes. Et spontanément, nous avons le sentiment que construire une éducation non genrée sera plus difficile avec un garçon ».
Quand il sera plus grand, Ange saisira toute l’épaisseur de l’engagement de sa maman et de son papa. Et Pierre-Edouard est toujours sur son nuage de papa. « Tout change à l’instant où je retrouve mon fils et qu’il me sourit. Je n’avais pas du tout anticipé la puissance de cet amour. Devenir papa m’a rendu bien plus heureux que je ne pouvais l’imaginer… ». Ou quand le bonheur d’être papa transforme les essentiels…
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2 commentaires sur « Congé paternité en entreprise – L’engagement de Pierre-Edouard, DG du Crédit Mutuel »